Début de l'histoire
- nessacecere3
- 18 avr. 2024
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 31 mai 2024
Fin 2014, quelques semaines après la naissance de notre fille, notre vie bascule : du bonheur d'être parents au cauchemar de croire la perdre.
Méningite à quelques jours de vie, lésions cérébrales, séquelles aux conséquences inconnues. Pas de pronostic diront les médecins hormis peut-être que notre fille ne sera pas gauchère...
Elle a gagné. Elle vit. Elle est lumineuse, joyeuse, merveilleuse, espiègle. Elle vit.
Je n'atterris pas, pas tout de suite. Etait-ce un cauchemar ? Je cherche mon souffle. C'est bien réel.
Elle vit. Elle sourit. Elle pleure. Elle mange. Elle dort. Un bébé ordinaire ? Pas tout à fait...
Puis, elle grandit. Elle ne se développe pas tout à fait comme les enfants de son âge, au niveau moteur principalement. Elle tient difficilement sa tête. Elle ne tient pas assise tout de suite. Ne cherche pas à se mettre à quatre pattes, à se mettre debout. Paralysie cérébrale, quelle tuile !
Commence alors une série de défis à relever, de nouvelles compétences à acquérir et des émotions à digérer.
Un long chemin de proches aidants qui se trace devant nous...
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Ci-dessous, je vous partage un texte que j'ai écrit qui est plus intime. Il décrit ce que j'ai ressenti lorsque ma fille est tombée malade. Ce témoignage pour illustrer que les accidents de la vie touchent n'importe qui, à n'importe quel moment de la vie (peu importe ton niveau social et économique, ton âge, si t'es une "bonne" personne ou non, si t'es armé pour y faire face ou non, etc.). C'est ainsi.
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C’est l’automne. Il ne fait pas si froid. Les hormones peut-être ? Je peux marcher en tongs dehors pour me rendre à la maternité. Le jour de ta naissance arrive enfin. Les médecins m’expliquent qu’il faut provoquer le travail car le terme est dépassé depuis de nombreux jours. La veille, je fais un rêve. Tu me dis que tu n’es pas en retard et qu’il faut juste patienter. Prémonitoire peut-être ? Est-ce que tout cela ne serait jamais arrivé si je t’avais laissé venir naturellement ? On se pose forcément ce genre de question quand on a traversé une épreuve comme la nôtre.
Ni mon corps, ni ton corps, n’ont fait le nécessaire pour que tu viennes au monde. Tu devais être bien dans mon ventre et moi, j’aimais tant te sentir onduler comme une vague. Tu étais douce. Il t’arrive aujourd’hui de me demander d’y retourner, avec ta tête tu essaies d’y replonger. Comme j’aimerais moi aussi que ce soit possible. Tant que tu y étais, tu y étais en sécurité, en bonne santé.
Tôt le matin, je reçois le médicament pour provoquer l’accouchement. C’est quoi ce bordel ?? Je dilate de 0 à 7 centimètres en 2h ! J’ai cru mourir. La péridurale fait des merveilles, soulagement. Au milieu de l’après-midi, dans un dernier effort, tu pointes ton beau visage. Tu es tranquille. Tout va bien.
Me voilà maman. J’ai longtemps hésité à l’être. Un peu par égoïsme, beaucoup par peur d’être responsable d’un autre être humain. Je ne peux plus reculer maintenant. Tu es là, ma belle enfant. Avec tes traits asiatiques, tu nous a aidé à choisir ton prénom. Nami. La vague en japonais. Tu es la vague de ma vie.
Quelques jours plus tard, la pédiatre assistante, t’ausculte, après 20h de garde, afin de nous donner l’autorisation de rentrer à la maison. Elle voit un bouton étrange dans ton dos mais conclut à un érythème du nouveau-né. Elle n’investiguera pas davantage. Merde ! Nous faisons confiance. Je suis pleine d’hormones, sur un nuage, je n’envisage même pas 30 secondes le cyclone qui va s’abattre sur nous, deux, trois semaines plus tard.
J11 : Tu es ronchonchon depuis 2 jours. Tu manges moins bien. Tu as un bras qui fait un mouvement bizarre, le gauche. Pas rassurés, le soir, nous demandons aux médecins de garde ce qu’il faut faire car notre fille a des « spasmes » au bras gauche. D’après lui, rien d’inquiétant, il faut aller chez le pédiatre le lendemain matin si ça continue. Elle vomit en jet cette nuit-là. Elle fait des mouvements bizarres avec la jambe gauche quelques heures plus tard. Nous paniquons. Nous nous rendons chez la pédiatre. Elle prend les choses à la légère. Elle ne prendra pas sa température, conclura à un potentiel virus ORL alors qu’elle a vu notre fille convulser. C’est en réalité comme ça qu’on dit dans le jargon médical. Convulser. Le cerveau de notre bébé était en train de déconner et sa pédiatre nous a renvoyés à la maison ! Nous sommes inquiets. Heureusement, la sage-femme doit passer pour la dernière fois dans l’après-midi. Elle s’affole. Elle ne comprend pas la pédiatre. Elle nous envoie aux urgences. Fin de mon existence d’avant. Je n’ai plus jamais été la même.
Mon bébé, minuscule, se fait retourner, toucher, piquer, par beaucoup trop de mains inconnues. Panique générale. État grave. Qu’a-t-elle ? Les médecins ne savent pas encore. Prendre plein de médicaments au cas ou. La fièvre ne descend pas. Urgence. Départ en ambulance au centre hospitalier universitaire le plus proche. Service de néonatologie. Se désinfecter les mains en entrant. Respecter un protocole strict. Des bébés partout dans des boîtes en plastique. Des bébés pleins de tuyaux. Des parents aux yeux cernés à côté. Des parents aux yeux pleins de larmes à côté. Des infirmières qui courent. Des pédiatres qui discutent, qui examinent.
Je ne comprends rien. Je ne comprends plus rien. C’est quoi ce service ? Ça sonne tout le temps. La lumière est allumée 24/24h. Je perds pieds. Je perds mon souffle. Ça doit encore être les hormones ? Je suis absolument dévastée. Qui a changé le scénario de ma vie ? Qui m’a propulsée dans cet univers ? J’aimerais être dans la boîte en plastique à la place de ma fille. Elle dort là. Seule. La nuit. Je me réveille en sursaut plusieurs fois chaque nuit. Je dois tirer mon lait. Nourrir mon bébé. Je ne peux faire que ça pour elle.
Trois jours d’attente : examen médicaux, hypothèses, questions, médicaments, tuyaux, piqûres, pleurs. Diagnostic trouvé : méningo-encéphalite. Mais encore ? Elle a attrapé un virus qui a enflammé son cerveau. Elle est très jeune, son système immunitaire peine à se défendre. Avec les médicaments, elle va aller mieux. Espoir. Rester forts. Rester à ses côtés du matin au soir, chaque jour. Lui donner de la force. Lui transmettre notre amour.
Une semaine d’hospitalisation, la nuit, le téléphone sonne. Infirmier inquiet. Des années qu’il n’a pas vu ça. Votre bébé a décompensé. Son cerveau a convulsé violemment. Coma artificiel pour le calmer. Quoi ? Pourquoi ? Comment ? Vous n’avez simplement pas eu de chance. Dur à encaisser. Colère. Tristesse. Abattement. Désenchantement.
Mon bébé endormi. Pas vraiment endormi, forcé à dormir. Tuyaux, électrodes, cathéter central, sonde. Je ne comprends toujours rien. Impression d’avoir atterri dans un pays en guerre, c’est Bagdad ici ?? Des bombes explosent dans la maison. Ça brise les murs. Ça brise les gens. Je sursaute à chaque bip.
Le temps passe. On s’habitue. On voit les autres parents. Les autres aussi pleurent. Les autres aussi sont épuisés. Les autres aussi n’ont pas eu de chance. On se regarde. On se comprend. On ne se parle pas. On comprend que c’est grave quand les médecins nous emmènent dans la petite salle.
Le grand pédiatre nous emmène dans la petite salle. Je ne veux pas y aller. Je ne veux pas y aller ! Tout le monde en ressort effondrés. Je ne veux pas y aller. Votre fille a d’importantes lésions cérébrales. Les lésions cérébrales sont irréversibles. Nous ne savons pas comment ça évoluera mais c’est grave. Coma encore quelques jours puis on la réveillera.
Elle se réveille. Le regard vif, sagace presque, joyeux et curieux. On dirait qu’elle vient de faire une sieste. Sourires. Elle a un mois et quelques jours. Noël à l’hôpital. Examen, encore. Retour à la maison. Bientôt.
Ce que l’on ne sait pas à ce moment-là, c’est qu’on va grandir ensemble, qu’on va apprendre ensemble, qu’on va devoir se dépasser ensemble. On va devenir des « proches aidants » comme on nous appelle.
Mais avant, maman va sombrer un peu, pas complètement, à petite dose, mais sombrer quand même. Papa va rester fort pour tout le monde. Papa va intérioriser sa souffrance. Tes frères vont intérioriser leur souffrance. Maman n’a pas la force de voir cela. Elle le verra plus tard.
Peu importe, je t’aime si fort, que par moment, j’aurais souhaité que ça ne soit pas vrai, que tu n’existes pas vraiment. La peur de perdre un enfant est une chose si éprouvante. Rien que d’y repenser j’ai mal à en crever.
Ta maman, Vanessa
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